RIMBAUD AUX SIENS

Harar, 25 mai 1881.

Chers amis,

Chère maman, je reçois ta lettre du 5 mai. Je suis heureux de savoir que ta santé s’est remise et que tu peux rester en repos. À ton âge, il serait malheureux d’être obligé de travailler. Hélas ! moi, je ne tiens pas du tout à la vie ; et si je vis, je suis habitué à vivre de fatigue ; mais si je suis forcé de continuer à me fatiguer comme à présent, et à me nourrir de chagrins aussi véhéments qu’absurdes dans ces climats atroces, je crains d’abréger mon existence.

Je suis toujours ici aux mêmes conditions, et, dans trois mois, je pourrais vous envoyer 5 000 francs d’économies ; mais je crois que je les garderai pour commencer quelque petite affaire à mon compte dans ces parages, car je n’ai pas l’intention de passer toute mon existence dans l’esclavage.

Enfin, puissions-nous jouir de quelques années de vrai repos dans cette vie ; et heureusement que cette vie est la seule, et que cela est évident, puisqu’on ne peut s’imaginer une autre vie avec un ennui plus grand que celle-ci !

Tout à vous,

RIMBAUD